"Evil dungaree"
Laissez-moi vous conter aujourd'hui la bien curieuse légende d'un vêtement dont l'invention relève aussi bien de la croyance populaire que de la sorcellerie :
En l'an de grâce 1015, le roi de France Robert II le Pieux demanda à son enchanteur, Raoul le Fistuleux, de lui confectionner un vêtement magique qui permettrait à son porteur de s'acquitter des tâches de construction les plus ardues, d'habitude réservées aux serfs qui les accomplissaient la raie de leurs fesses poilues à l'air et à la vue de tous, tout en bougonnant et jurant contre l'outil qui n'est jamais à sa bonne place.
Le roi était en effet passionné par la sacro-science du bricolage mais n'y entravait malheureusement nenni. Le mage, qui tenait son bien étrange pouvoir du puissant enchanteur Merlin-Leroy, s'exécuta et, au bout de plusieurs jours passés dans son laboratoire, offrit à son seigneur l'habit de ses rêves. "Prenez garde, Messire, le port de cette étoffe ne peut que servir les desseins honnêtes d'un coeur pur porté par une âme chaste ! Malheur à l'entourage de celui qui se livrerait à des actes de bricolage vil et malfaisant ! Le courroux dévastateur des forces de l'ombre s'abattra alors sur l'ouvrage impur, terrassant tout sur son passaaaaage! " ajouta le mage, qui en rajoutait des caisses, en tendant le costume à Robert II.
S'il est vrai que l'on mira déjà rois dans des atours plus somptueux, oncques ne vit jamais seigneur plus adroit dans l'art de refaire les joints de la baignoire.
"C'est pratique les bretelles, je peux garder ma chemise à carreaux en dessous!" avait-il l'habitude de confier à ses sujets lorsque Robert portait sa chemise à carreaux.
Le bon roi Robert II, qui n'était pas surnommé le Pieux pour des prunes, porta en effet mieux que quiconque le vêtement bleu, couleur des rois de France. Quand il fut terrassé par une gastroentérite fulgurante, le mage Raoul retira la salopette ensorcelée du corps défunt afin de la cacher en un lieu plus sûr qu'un sépulcre royal. Malgré ses puissants pouvoirs, il eut bien du mal à ravoir la salopette et il emporta le secret de la cachette dans sa tombe. On ne revit plus l'habit à bretelles jusqu'à ce que...
En juillet 1975 à Paris, un couple d'origine italienne arpentait romantiquement les allées ombragées du bois de Vincennes. Ca discutait grands projets, couleurs des yeux, couchers de soleil, programme TV du soir, quand tout à coup, la jeune femme fut surprise par un reflet brillant qui lui fit battre ses longs cils soyeux. Intrigués, ils allèrent voir de plus près la raison de cet éclat soudain. C'était l'une des boucles argentées de la bretelle royale. Cette dernière était remontée à la surface après plus d'un millénaire passé sous terre. Malgré son âge, la salopette était dans un état neuf. Le jeune homme, apprenti plombier, enfila la salopette pour faire le malin devant sa copine et fut pris d'une telle frénésie constructiviste qu'il s'inscrivit aussitôt à l'école d'architecture de Paris. Animé par des intentions nobles et par un projet bénéfique, le porteur fut récompensé par la salopette qui lui garantît vite une renommée internationale.
"Je vais laisser les petits tuyaux apparents comme ça si y a une fuite, on la trouvera plus vite!"
Il fallait y penser, une telle idée ne pouvait-elle donc émaner que d'un acte de magie ?
Fort de cette épreuve et d'une carrière sans tâche, Renzo-Mario fut pris d'une remise en cause globale tardive et décida qu'à partir de maintenant seuls ses talents d'architecte lui assureraient gloire, sans l'intervention magique d'une salopette ! C'était au début des années 2000 et il mit sa salopette en vente sur e-bay...
Malheureusement, la salopette magique tomba dans les vilaines mains de son acquéreur et nouveau propriétaire. Elle perdit alors ses vertus magiques comme l'avait prédit le mage Raoul. La maison dans laquelle avait sévi le porteur de la salopette était damnée pour l'éternité. Les lettres collées sur les murs creusaient des crevasses irréparables, emportant avec elles la tapisserie, la peinture, le plâtre, les briques. Les lattes du faux plancher se soulevaient au bout de quelques semaines et les stickers disséminés dans la maison se décollaient, laissant à jamais sur les murs la trace de leur fugace et destructrice présence. Les bulles des tapisseries bariolées marouflées étaient intransperçables et cloquaient les motifs rococo en argent sur fond noir.
L'on colporte même la légende que la porteuse de cette salopette aurait réalisé des collages encadrés sataniques qui brûleraient instantanément les yeux de celui qui porterait son regard sur eux...