Blanche, dans la bouteille
Blanche était bien empêtrée. La force qu'elle avait déployée pour s'extraire du goulot avait pompé toute son énergie. Ses bras tremblaient, ses jambes flottaient dans le vide, à quelques centimètres au dessus des flots. Les vapeurs d'alcool qui remontaient jusqu'à l'intérieur de son corps provoquèrent une fatigue soudaine et une ivresse violente. Pour la première fois, c'était son corps tout entier qui était saoul, pas seulement sa tête.
Les gens l'appelaient la noyée. Femme à la dérive. Ses penchants la faisaient sombrer plus souvent qu'à son tour. Parfois elle s'en sortait. Souvent elle rechutait, toujours elle recommençait. Chaque fois elle se liquidait.
Coincée dans sa gangue de verre, Blanche sentait sa vie s'échapper. Tout son corps exhalait les vapeurs acres du mauvais vin bon marché et sa sueur puait les vendanges précoces. Même les 13° étaient bien incapables de lui tenir chaud et de lui apporter un quelconque réconfort. Blanche s'engourdissait lentement, sûrement, mortellement, à une seule enjambée de la liberté. Jamais extraction ne lui avait paru si pénible et l'issue si incertaine.
Les paris étaient lancés. Sa cote était de 30 contre 1. Moi j'aurais pas parié sur elle, plutôt sur la bouteille.
Là, à voir Blanche remonter à la surface, à la croire, à la boire, ce serait sans doute la dernière fois. Ironiquement son ultime descente sera sa dernière ascension...
Les paris sont clos, ses yeux aussi.